Cate Blanchett, exceptionnelle en cheffe d’orchestre dans le dérangeant “Tár”

Elle vit avec sa compagne Sharon (Nina Hoss), premier violon, et leur petite fille dans un superbe appartement berlinois et parcourt le monde en jet privé pour donner des concerts et recevoir des hommages… Toujours suivie par sa fidèle assistante, la jeune Francesca (Noémie Merlant). Prochainement, lors d’un concert très attendu, elle s’apprête à accoucher de son chef-d’œuvre : percer le mystère de la Symphonie nᵒ5 en do dièse mineur de Mahler…

Jeux de pouvoir

Tár s’ouvre sur une très longue scène, dans laquelle Lydia Tár est l’invitée d’une discussion en public organisée par le magazine The New Yorker à Manhattan. Face au journaliste qui l’interroge, la star de la baguette est hypnotisante, dissertant savamment sur l’histoire de la musique ou sur son rôle de maestro — à moins qu’il faille dire “maestra” ? Du petit-lait pour Cate Blanchett ! Sauf que la solide façade de la self-made-woman va commencer petit à petit à se fissurer…

Cela fait 15 ans que l’on n’avait plus de nouvelles de Todd Field, alors qu’il fut l’une des voix prometteuses du cinéma indépendant américain, après avoir abandonné sa carrière d’acteur pour signer deux premiers films remarqués : In the Bedroom avec Sissy Spacek et Marisa Tomei en 2001 et Little Children avec Kate Winslet et Jennifer Connely en 2006. Après plusieurs projets infructueux, dont une série annulée avec Daniel Craig pour Showtime (Purity, d’après le roman de Jonathan Franzen), le cinéaste a finalement pu monter ce troisième long métrage très ambitieux.

Très érudit, minutieusement documenté, nourri de dialogues sophistiqués et porté par la musique de Mahler et la partition de l’Islandaise Hildur Guðnadóttir (Joker, Chernobyl…), Tár nous plonge dans l’univers feutré de la musique classique, pour nous en dévoiler des coulisses pas très ragoûtantes. Un peu comme l’avait fait Darren Aronofsky avec le ballet dans Black Swan. Natalie Portman y campait une jeune danseuse découvrant un univers impitoyable. Celui de la Philharmonie de Berlin l’est tout autant… Et comme dans Black Swan, Tár mêle jeux de pouvoir et désirs les plus intimes de ses personnages.

Harcèlement au féminin

Là où Field se démarque, c’est dans son approche très singulière d’une problématique très actuelle depuis le mouvement #MeToo. À travers ce personnage de femme au sommet dans son domaine, le cinéaste américain pose en effet la question du harcèlement au féminin, en déplaçant la question du genre vers celle du pouvoir lui-même. Comme si, une fois arrivé dans certaines sphères, tout semblait dû. À moins que justement, pour s’y hisser, il faille marcher sur son entourage…

Dans le rôle de cette cheffe d’orchestre surdouée, Cate Blanchett est impressionnante ; elle a d’ailleurs décroché la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine à Venise, ainsi qu’un récent Golden Globe (avant un troisième oscar?). Inébranlable au début, elle glisse progressivement vers la faiblesse, voire la folie, à mesure que l’idole Lydia Tár est bousculée de son piédestal.

La comédienne australienne s’est totalement impliquée dans son rôle, apprenant notamment la technique et la gestuelle du maestro. Jusqu’à réellement diriger l’orchestre ! Filmant avec rigueur cet univers de la musique classique, de Berlin à New York, Todd Field a en effet tenu à ce que la musique — notamment toutes les répétitions de la Symphonie N°5 de Mahler — soit enregistrée en direct… L’effet est saisissant !

Tár Drame musical Scénario et réalisation Todd Field Photographie Florian Hoffmeister Musique Hildur Guðnadóttir Montage Monika Willi Avec Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer, Mark Strong… Durée 2h38